La mélancolie se nourrit de sa propre impuissance est une mise en scène que Jean-Frédéric Chevallier a réalisé avec une vingtaine d’étudiants de la Maîtrise en Théâtre et Arts Vivants de l’Université Nationale de Colombie en avril 2010. Dans les heures qui suivirent la première présentation publique, il existait déjà un texte pour accompagner cette proposition délurée. Un spectateur, Sandro Romero Rey, l’avait écrit, à peine rentré chez lui, et posté sur Internet le surlendemain.
Tout paraissait livré au hasard. Le mercredi 28 avril 2010 on m’avait invité à présenter un documentaire sur Ives Klein. J’ai parlé de la révolution bleue, des origines de la performance, des installations, du vide. Le lendemain, dans le même lieu, j’ai parlé de Pina Bausch. J’ai parlé de la danse-théâtre, de la répétition, des relations entre images enregistrées et images en live. Quelques heures plus tard, j’étais à l’Université Nationale, et j’assistais au travail de Laboratoire de la Maîtrise Interdisciplinaire en Théâtre et Arts Vivants, sous la direction de Jean-Frédéric Chevallier. Le cercle commençait à se refermer et recommençait à s’ouvrir. Je ne pensais pas citer mes expériences autobiographiques antérieures. Mais on ne peut pas maintenir à distance une aventure comme celle que j’ai vécue le 29 avril à dix-huit heures trente dans la salle 209 du bâtiment de design graphique. On ne peut pas parce que le travail invitait à un voyage au travers de la perception et des instincts dans lequel nous, les spectateurs, étions partie prenante, bien au-delà de la simple expérience rationnelle. [Ici Sandro Romeo Rey fait un compte-rendu minutieux des différents moments qui composaient le spectacle.] Arrivé chez moi, complètement trempé, baigné de souvenirs et de pluie, je me suis rendu compte que le travail (le travail ?) auquel je venais d’assister s’intitulait La mélancolie se nourrit de sa propre impuissance. Alors j’ai compris ce qui m’arrivait. J’ai compris pourquoi j’étais sorti en courant, presque sans ne saluer personne, avec Yves Klein et Pina Bausch et Jean-Frédéric Chevallier à gigoter dans ma tête. J’ai compris que oui, bien sûr, la mélancolie se nourrit de sa propre impuissance et que j’avais été victime d’une agression flagrante du passé, d’une sensation trop profonde, dans laquelle les fils de ma mémoire s’étaient inextricablement emmêlés. Je me suis senti épuisé, mannequin sans bras ni jambes [l’affiche du spectacle donnait à voir des mannequins]. J’ai compris pourquoi ce type d’actes artistiques arbitraires peut être incommode pour la majorité des gens. J’ai compris pourquoi on les évitait, et, en même temps, pourquoi on pouvait les valoriser sans réserve, parce que oui, ce sont là des voyages vers le délire des ombres, vers les baisers volés [les actrices embrassaient quelques spectateurs] et les amours fous. Ce sont là des « morceaux fractals » de l’horreur et du bonheur, desquels nous revenons comme aérés, comme après une immersion sans scaphandre. Une heure plus tard, quand je suis arrivé chez moi, la tuyauterie était cassée. Il fallait appeler le plombier. Cela ne m’a pas dérangé. C’était la moindre des choses.
Sandro Romeo Rey, Bogota, 30 avril 2010
avec Charles González, Dubian Gallego, Claudia García, Rebeca Medina, José Álvarez, Oscar Cortés, Paola Ospin, Pamela Campos, Marcela Córdoba García, Natalie Buenaventura, Elvia González, Maria Teresa Jaime, Sofía Arrieta, Cesar Falla, Johanna Marín, Ramiro Losada, Diana León, Camilo Panzón, Liliana Montaña vidéoJosé Álvarez, Claudia Garcia, Pamela Campos lumièreNatalie Buenaventura, Charles González assistants mise en scène Paola Ospina et Cesar Falla composition et mise en scène Jean-Frédéric Chevallier directeur de la Maîtrise en Théâtre et Arts Vivants Víctor Viviescas textes El mago de Viena / Sergio Pitol 2666 / Roberto Bolaño extraits musicaux Misa en si menor / Bach Feto_talk.pig / Rogelio Sosa y Andrés Solis Du boulot / Têtes Raides Mohé apné rang main rang lé nijaam / Nusrat Fateh Ali Khan extrait filmique Le monde d’Apu / Satyajit Ray produit par MITAV Université Nationale de Colombie
présenté les 29 et 30 avril 2010 à 18 hrs. 30 • SALÓN 209 • Université Nationale de Colombie