Le centre à la périphérie

Sukla Bar et Jean-Frédéric Chevallier ont travaillé à Borotalpada à partir de 2008, notamment en y créant cette année-là un spectacle de danse, théâtre et musique, présenté l’année suivante à Calcutta, avec le soutien du Ministère de la Culture de l’Inde et l’Université de Jadavpur : Monsoon Night Dream. Ensuite, des liens de confiance et d’amitié se sont tissés, de nombreuses et longues discussions en assemblées ont été menées. Et, peu peu, il est apparu qu’une expérience plus ambitieuse devait être tentée : la construction dans le village d’un centre culturel.

 

LE CENTRE EN FÉVRIER 2012

Opérer ainsi c’était délibérément placer le « centre » à la « périphérie » – géographiquement et sociologiquement. Car une plateforme culturelle se construit habituellement dans un beau quartier et dans une grande ville. Là, il s’est agi de faire l’exacte inverse : situer le « centre » dans un village reculé et de peu de ressource. Et il s’est agi aussi de faire en sorte que ceux qui coordonnent un tel « centre » soient précisément ceux qui habituellement ne coordonnent rien du tout — parce qu’ils sont, telles les populations tribales en Inde, des personnes « périphériques ».

 

LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION

La décision fut donc prise, au cours d’une assemblée de village, le 31 décembre 2010 et la construction (selon la tradition architecturale santhal) du bâtiment débuta en octobre 2011, une fois la saison des pluies terminée. Chacun y mit le temps qu’il pouvait. Certains y consacrèrent plusieurs mois et d’autres quelques journées. En février 2012, la Nuit du Théâtre 5 y était organisée : le metteur en scène mexicain Hector Bourges y proposait une performance théâtrale au cours de laquelle des braseros étaient allumés entre les murs et la construction suivait son cours, et . En février 2013, pour la Nuit du Théâtre 6, le bâtiment avait de l’allure. Jean-Frédéric Chevallier y mit en scène un spectacle se déroulant dans toutes les pièces du bâtiment, simultanément parfois, successivement d’autres fois.

 

LE CENTRE EN FÉVRIER 2013

En octobre 2013, le cyclone Pailin (qui traversait l’État voisin) produisit sur le bâtiment d’indéniables « effets collatéraux ». Des morceaux de murs s’effondrèrent. À ceci se sont ajoutés cette année-là, et avant que ne débute la mousson, des vents pernicieux qui ébranlèrent le toit de bambous et paille de riz qui couvrait l’ensemble. Ce dernier finit par s’affaisser. Le 5 janvier 2014, après la collecte de quelques fonds, les travaux de reconstructions purent démarrer. Courant avril, l’ensemble des murs avaient été réparés, puis rehaussés et, courant juillet, un toit de tôle posé. En février 2015, le Centre culturel était repeint de terre rouge, noir et l’intérieur de cendre blanche. En avril 2015, restait encore à couvrir d’un toit le bâtiment annexe. En décembre, décision était prise de convertir cette annexe en plateforme. En mars 2016, une performance théâtrale était réalisée sur cette trimukhienne « platform ».

 


Une nuit de mai 2020, une semaine après le passage du cyclone Amphan (face auquel le Centre avait plutôt bien résisté), des vents méchants soufflèrent et le toit recommença de tomber…

 

 

 

L’anthropologue Marc Hatzfeld avait écrit, après l’un de ses passages à Borotalpada (il avait mis les mains dans la glaise, i.e. participé à la construction des murs): « Il nous arrive de croire que c’est l’araignée qui tisse sa toile, mais n’est-ce pas, à l’inverse, la toile qui jaillit à la lumière du petit matin en faisant travailler l’araignée ? Après tout qu’en savons-nous ? De même, n’est-ce pas ce Centre culturel de Borotalpada qui tresse un réseau de relations fragiles et porteuses de devenirs entre des paysans santals, des artistes et intellectuels de Calcutta, des donateurs de France, d’Allemagne, d’Espagne et d’ailleurs, des concepteurs mexicains ou français, des enfants qui jouent à la lisière de la forêt et du village ? Laissons-nous donc tisser ensemble par le Centre culturel en devenir : chacun sa part, chacun son temps, ceux qui pétrissent la glaise, ceux qui apportent leurs cinquante euros, ceux qui dessinent les plans, ceux qui impulsent, ceux qui voyagent encore et ceux qui dansent déjà. La première œuvre de ce Centre est bien le tissu d’émotion, d’intelligence, de générosité et de songe qui fait briller ce petit morceau du monde à la lumière d’un autre matin. »


DYNAMIQUE • 3 VISAGES • VILLAGE • L’ÉQUIPE • 10 ANS 


Lire dans la presse indienne

⇒ Lire la lettre « Quant aux effets collatéraux d’un cyclone 2013 »

Lire la lettre « Campagne mousson 2012 »

⇒ Lire la lettre « 5 novembre 2011 »